La nécro acerbe d’un Russo-Croate nommé Patrick Besson
ou
l’hommage funèbre de l’écrivain vendéen de Nantes, Jean-Pierre Raison
Cela s’est passé il y a un mois, dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 mars 2015. J’avais eu un mal fou à m’endormir, tourmenté que j’étais par un manuscrit que Dominique Gaultier, le directeur des éditions Le Dilettante, m’avait refusé… en 2010. Gaultier était allé jusqu’à m’écrire : « Ce n’est pas l’écrivain qui me déplaît chez vous, ce serait plutôt l’homme. » Gonflé, le Gaultier (un patronyme à la mode, mais un homme pas commode) ! Paraît qu’il est comme ça, pète-sec et tralala. Tout ça pour un manuscrit intitulé « Patrick BESSON (1991 — 2009) », inspiré par Besson lui-même, qui était ni plus ni moins qu’un échange de lettres, dont 90 % de mon cru. Chacun le sait, ce Besson-là, pourtant lettré, n’est pas courriériste (carriériste ? Ça se discute). Il s’aime trop pour échanger avec autrui, et il préfère jouer les pistoleros que les épistoliers, son domaine de prédilection étant le roman et la chronique… où il fait la nique à tout le monde.
Bref, ça parlait de Patrick Besson, et ce que j’en disais moi-même n’était pas folichon. Quand, tout à coup, Giesbert (le FOG du Point) a ouvert la porte de la pièce où nous causions, en hurlant : « PB est mort. » Dans la seconde, « Pébé » n’a fait tilt dans l’esprit de personne, mais quand FOG a précisé « le grand Patrick, merde ! », là on a tous été sciés, moi le premier. On aurait pu croire FOG meurtri, pas du tout. Son problème était la nécrologie du macchabée (insuffisance rénale suite à une violente crise de goutte mal gérée : kaput !). Et pof ! Il me désigne du doigt, en disant : « C’est pour toi, Jean-Pierre, ça lui fera plaisir. » En effet, il a dû se bidonner sur son plumard, faute de se retourner dans sa bière, tandis que j’ai failli m’étrangler. Contester FOG, c’était pas pensable, j’ai obtempéré, sans dire « Bien, mon adjudant ! », parce que j’aurais pris la porte, sans emporter la clé (et que fait-on quand une porte ne s’ouvre pas ? On la ferme et on se casse !). Et avec FOG, aux chiottes la clause de conscience, t’obéis ou tu t’inclines. J’ai fait les deux, et je me suis mis à l’ouvrage.
Dans le fin fond de moi, j’étais pas inquiet, j’avais un filon en or : Angelina Rinaldo, la spécialiste des enterrements de VIP (Very important person). Quand même, pas une minute pour me recueillir et pleurer un petit coup, j’avais les boules dans le creux de la gorge, et du mal à avaler cette sidérante nouvelle, au point de ne pas y croire. Mais si le dirlo du Point en était certain, cela devait être vrai.
Cependant, en appelant PB sur son portable (0654321ZERO) pour vérifier qu’il était vraiment mort, je n’ai pas été du tout rassuré : son répondeur sonnait inoccupé… comme d’habitude. Tant pis, avec le concours d’Angelina, j’ai fait mon devoir et concocté une nécro la plus objective qui soit, celle que voilà :
« C’était un écrivain prometteur. À ses débuts, précoces, il a vendu pas mal de livres, touché un certain nombre d’à-valoir et vite séduit quelques académiciens français qui lui ont permis d’obtenir plusieurs prix littéraires. Mais l’un de ses titres de gloire est sans doute d’avoir fait partie de la bande à Déon (Michel, de son prénom), lui-même ayant appartenu à ces fameux « Hussards », des écrivains étiquetés à droite (Nimier, Laurent, Blondin, pour ne citer que les principaux) qui, dans les années 50-60, sortirent la littérature de sa léthargie en s’opposant notamment aux intellectuels de gauche ralliés à Sartre. Patrick Besson, ainsi que des auteurs comme Neuhoff et Tillinac, ont eux-mêmes été qualifiés de néo-Hussards, un peu abusivement
Après un parcours littéraire remarqué où il eut maintes fois l’occasion de goûter à la célébration, notre ami l’écrivain Besson, en manque de lecteurs enthousiastes, découvrit assez vite les affres de l’anonymat. Il aurait glissé lentement vers l’oubli si sa plume, au demeurant alerte, n’avait pas retenu l’attention de certains rédacteurs en chef, de toutes obédiences, qui firent de lui un chroniqueur (une fonction qu’il exerça très jeune à France Culture, auprès de Roger Vrigny). Il s’autorisa tellement de fantaisie dans ce rôle d’échotier-critique, où il se montra souvent très insolent, qu’il finit par agacer ses généreux employeurs, qui remercièrent cet incontrôlable pigiste sans le moindre préavis ni aucune inimitié. Et c’est là où, après avoir brillé sous les feux de la rampe, il disparut de plus en plus des écrans radars. Il serait sans doute aujourd’hui SDF ou clodo s’il n’avait tapé dans l’œil frétillant du très influent Franz-Olivier Giesbert, dit FOG, le directeur du newsmagazine Le Point, qui lui offrit un job très nourrissant : maître-queux chroniqueur. Ainsi Besson, fine gueule à ses heures, truffa-t-il ses chroniques de considérations culinaires et de bonnes adresses, au point de devenir un critique gastronomique de l’aune d’un Jean-Vincent Placé, le sénateur écolo, fieffé mangeur de notes de frais. En bon parasite mondain, Besson se plut aussi à encenser les puissants et à dénigrer les méritants, reniant ainsi ses convictions politiques qui le font encore prôner le communisme (t’as du chic, coco !). S’il n’était pas si épais et corpulent, on l’imaginerait aisément en train de faire le grand écart entre la soupe populaire et Drouant. Ah ! Drouant, Dieu sait qu’il y casse régulièrement la graine, en tant que juré du prix Renaudot, tout en gardant une dent contre les membres du Goncourt qui n’ont jamais cru bon de le primer, donc de le rendre riche à millions.
Et les livres dans tout ça ! Il en écrit quasiment plus, mais il recycle ses vieux papiers journalistiques dont certains ont largement dépassé la date de péremption, à tel point qu’il publie des ouvrages périmés. Attendez-vous à voir apparaître bientôt une resucée de ses chroniques du Point. Réchauffées, il paraît qu’elles sont meilleures que fraîches, vous m’en direz des nouvelles. Ah ! Des nouvelles, notre polygraphe en goguette sur la Côte en a troussé plus d’une dans sa chambrette niçoise ! Si elles vous ont échappé, rassurez-vous, moi aussi j’ai glissé sur le papier glacé où elles s’étalaient comme des courtisanes fatiguées de porter leurs misères hautaines.
Mais voilà que Patrick le Conquérant est mort, que le gerfaut s’est envolé par-delà les airs, et nous voici orphelins. Ayons de la peine pour lui, et laissons-le en paix, car quoi qu’il ait fait, il n’aura jamais démérité. »
J’allais montrer ma copie à FOG, quand des coups de marteau m’ont réveillé en sursaut. Les ouvriers qui travaillaient à la rénovation du studio jouxtant mon T2 étaient déjà à pied d’œuvre alors que mon réveil marquait 8 heures. Forcément, je me suis levé du pied gauche, et ce fut pour moi une journée de « mouise ». Mais l’essentiel n’était-il pas que notre bienheureux Patrick fût en vie et pût continuer à chroniquer brillamment au Point, où il s’éclate, sans se la péter… encore que !
Pour me faire pardonner d’avoir joué avec sa vie, et de vous avoir, chers lecteurs, induit en erreur le temps d’un « post timbré lettre prioritaire », je vais vous donner un bon conseil. Dans l’immense œuvre littéraire de ce grantécrivain transnational, je vous recommande ce très grand roman :
« Mais le fleuve tuera l’homme blanc » : http://www.fayard.fr/mais-le-fleuve-tuera-lhomme-blanc-9782213629667
C’est bien simple, pour moi, ce livre est dans la lignée du « Docteur Jivago », ce chef-d’œuvre du poète et romancier russe Boris Leonidovitch Pasternak, lauréat du prix Nobel de littérature en 1958 (prix qu’il refusa pour des raisons que « Pébé » vous expliquera mieux que personne). Du coup, tandis que l’on sanctifie le quasi-nonagénaire Jean Bruno Wladimir François de Paule Lefèvre d’Ormesson, l’aristo surnommé Jean d’O, me vient cette interjection : « Mais qu’attend Antoine Gallimard pour accueillir Patrick Besson dans la Pléiade ! »
Voilà. Je crois que je vais en rester là pour aujourd’hui. Si je me suis fait plaisir avec ce petit morceau de bravoure, c’est qu’après mon opération de la prostate (voir mes articles antérieurs, qui valent tous le détour), les choses tardent à se remettre en place, et ça me fout les glandes. Je ne peux pas en faire toute une montagne, surtout en m’adressant à vous qui compatissez (con t’a pissé !), alors j’en fais tout « incontinent ». Or moi, quand le stress me gagne, l’écriture reste le meilleur moyen d’y échapper. Certes, je vais replonger dès ce post envoyé, mais je trouverai autre chose à écrire, et ainsi de suite jusqu’à… ma disparition, qui n’est pas pour demain, encore que je n’en sache rien, car c’est une chaîne sans fin. En outre, il va être 15 heures, et j’ai sacrément la dalle, comme on dit chez les argonautes (pas les compagnons de Jason, celui qui conquit la Toison, les argonautes contemporains, disons les ergoteurs du Net, qui sont légion).
Et si je me lançais dans une odyssée telle que l’Iliade ? Non, pas recommandé, au moment où le grec et le latin sont dans le collimateur de Madame Najat Vallaud-Belkacem, la ministre féministe de la Rééducation nationale.
Sans rancune, mon gros Patrick (un quintal et des poussières, couché).
Ton petit Jean-Pierre (un mètre soixante-dix-neuf et demi, debout)
P.-S. : Si j’ai laissé traîner quelques fautes à certains tournants, ne m’en veuillez pas, j’écris en conduisant sur une route accidentée, pas un gramme imbibé, mais sous l’empire d’un soleil couchant qui m’aveugle intensément.