— Maman ! C’est quoi l’union nationale ?
— L’union nationale, c’est quand un très grand nombre d’habitants d’une nation se rassemblent pour défendre une très grande cause, pour soutenir les victimes d’une très grande catastrophe, pour affirmer leur force face à un très redoutable agresseur.
— Les habitants d’une nation et les citoyens d’un pays, c’est pareil ?
— Oui, dans ces cas-là, c’est presque pareil.
— Maman ! C’est quoi l’exclusion nationale ?
— L’exclusion nationale, c’est quand un très grand nombre de citoyens d’un pays ne sont pas invités à participer à un très grand rassemblement national.
— C’est un peu comme l’exclusion sociale, alors ?
— Si on veut. C’est comme un très grand nombre de chômeurs qui n’ont pas accès au marché du travail.
— Là, je ne comprends pas tout, maman.
— C’est ma faute, je ne t’ai pas assez bien expliqué. L’exclusion sociale, c’est ne pas avoir la possibilité de travailler, parce que le travail manque ou qu’il est inaccessible à des personnes qui n’ont pas assez de qualification.
— Qui n’ont pas fait d’études ?
— Oui, ou qui ont fait des études qui ne leur servent à rien.
— Ou qui ne débouchent sur rien ?
— Et qui les mènent tout droit à Pôle emploi.
— Finalement, j’en sais presque autant que toi, maman.
— C’est vrai, et ça s’explique. J’avais des aptitudes, j’apprenais bien, mais j’ai dû interrompre mes études très tôt, parce que mes parents manquaient d’argent. Surtout, ils n’avaient pas les moyens de « me payer à rien faire », comme disait Papy. Lui, à son époque, c’était encore moins rose. Aussitôt revenu de l’école à la ferme familiale, il devait, avec son frère aîné, se mettre à nourrir les cochons et parfois traire les vaches.
— Mais toi, maman, tu t’es donné la peine d’apprendre un métier qui aujourd’hui ne te sert plus à rien.
— Un métier ? Enfiler de la chair à saucisse dans un boyau, c’était pas un métier, c’était du travail à la chaîne… Dis donc, on ne va pas passer l’après-midi à discuter ! N’as-tu pas une rédaction à préparer ? Et moi, mon ménage, qui va le faire ?
— Ah si, maman, explique-moi encore les choses nationales !
— Par exemple ?
— L’indignation nationale, c’est quoi ?
— Ça n’existe pas.
— Pourquoi alors les gens du Front national, ils sont indignés ?
— Papa et toi, avec votre Front national, vous commencez à me plaire… surtout ton père, qui ferait mieux de travailler que de militer dans un parti.
— S’il t’entendait, il ne serait pas content. Coller des affiches, surtout l’hiver, c’est pas drôle, et distribuer des tracts non plus.
— Arrête ça, ou…
— Ou je vais me plaindre à S.O.S. Femmes battues ?
— Ton père ne m’a jamais battue, même pas aux cartes, il m’a seulement corrigée quand je tournais trop autour du voisin. Au sujet des indignés, il faut que tu saches que chez nous, en France, les gens s’indignent pour un rien. Si bien que l’indignation n’a plus aucun sens. Laissons donc de côté cette tarte à la crème, penchons-nous plutôt sur la notion d’indignité nationale.
— Maman, j’ai douze ans, tu le sais, avec mes petites jambes toutes maigres, je ne peux pas suivre une autodidacte musclée du cerveau comme toi.
— Où as-tu déniché cette tournure de phrase, et cette formule ?
— À la télé, sur la 8.
— Sur D8 ? Chez cet abruti d’Hanouna…
— Oui, mais ton indignité nationale, maman, c’est quoi exactement ?
— L’indignité nationale, c’est quand un président de la République, un Premier ministre et un chef de parti socialiste invitent toutes les organisations politiques à se rassembler dans une grande manifestation nationale, en y excluant le Front national, qui ne serait pas un parti républicain, alors qu’il représente à lui seul près de 25 % des électeurs français.
— Comme dirait papa, c’est un scandale national.
— Non, c’est un dénommé Georges Marchais qui, au siècle dernier, a dit ça. Papa ne dit pas ça, il dit que ce président-là devrait démissionner. Il dit aussi que si ce président-là refuse de prendre en compte le poids électoral de ce parti-là, il n’a qu’à prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, et il verra bien le résultat obtenu par le Front national.
— Oui, mais, si le mode de scrutation…
— Scrutin, mon biquet,
— Oui, si le mode de scrutin ne change pas, ce sont les mêmes, ou presque les mêmes, qui resteront au pouvoir.
— Bien vu, mon lapin, et ça fera un scandale national de plus ! Et comme les électeurs du Front national, très respectueux des institutions, de la république et de la démocratie, ne sont pas du genre à poser des bombes ici ou là, le problème est sans solution.
— Nous sommes tous des pauvres cons, alors ?
— Ne sois pas impoli pour ça. D’abord, toi qui ne votes pas, politiquement, tu ne comptes pas, et tu n’es rien de particulier, surtout pas un pauvre con. Mais nous, ton père et moi, nous sommes… NOUS SOMMES COMME CHARLIE, NI BÊTES NI MÉCHANTS, et nous le resterons toute notre vie.
— Moi aussi, maman… Tu ne veux pas me dessiner un mouton et m’apprendre à crayonner, pour que, plus tard, je devienne, si Dieu le veut, un grand caricaturiste comme Cabu, Charb, Tignous ou Wolinski.
— Bien sûr, mon fils. Tu sais que je t’aime plus que tout quand tu me parles avec des phrases sublimes comme celle que tu viens de prononcer.
— Tu es amoureuse de la langue de ton pays, maman.
— Oui, j’ai deux amours, mon lapin : toi, cela va de soi, et NOTRE SI BELLE LANGUE FRANÇAISE, GARANTE DE NOTRE CHÈRE IDENTITÉ NATIONALE.